Bon, me voilà avec Eternity Incorporated de Raphaël Granier de Cassagnac entre les mains… Selon mon habitude, je prends quelques minutes pour laisser remonter les premières idées, que la couverture et son résumé ont pu éveiller. L’image d’un monde post-apocalyptique, où l’humanité survivante vit retranchée dans une ville-bulle, me renvoie tout de suite à deux univers : celui du film d’animation Final Fantasy ainsi que celui du jeu de rôle Neuvième Cercle. Des mondes sombres et cruels, où il ne fait pas vraiment bon vivre… Sans parler de l’idée d’un régent omnipotent, le Processeur, qui m’amène immédiatement au Big Brother de George Orwell et autres images de dictature. Je me prépare donc à une belle tranche de soleil et ouvre enfin le premier roman de cet auteur déjà confirmé.
Fin du deuxième paragraphe et je m’arrête, déjà, pour applaudir l’auteur : je suis rentré dans le livre avant la fin de la deuxième phrase. L’écriture est claire, j’ai presque envie de dire limpide, sensible et rythmée, sans excès. Je me cale un peu plus dans mon fauteuil et je reprends.
4ème de couverture, définitive 😉 – Editions Mnémos
Je disais donc, en préambule, que je me préparais à plonger dans les tréfonds d’une Bulle décatie et décadente. Dès la première page, je pressens clairement mon erreur. Loin de me retrouver dans une Bulle sombre et anxiogène, j’évolue dans un espace que j’ai perçu comme quasi-immaculé. L’idée de lieux blancs à la luminosité presque aveuglante m’est restée.
Quant à évoluer dans une société dystopique au bord du chaos et de l’implosion… La société de la Bulle semble plutôt fonctionner à merveille, donnant une place à chacun, dans une organisation sans failles ! Le tout régenté par un Processeur omnipotent qui apparaît plus proche du patriarche que du despote.
Je n’ai cessé, à coup de petits détails – finement intégrés – de m’émerveiller de la parfaite cohérence du système. On a le perpétuel sentiment que la boucle est bouclée, que si l’on devait se figurer l’ensemble : il serait sphérique.
Et c’est là que je fais « tilt » ; une sphère est, par définition, un système fermé. Or, le « changement majeur dans l’ordre de la Bulle » va induire la nécessité d’y trouver une issue…
Ainsi interviennent Sean Factory, Ange Barnett et Gina Courage ; à leur suite et avec eux nous tâtonnons, à la recherche d’une option de sortie qui n’est pas censée exister.
Et me voilà donc au fil des pages, dans la vie de Sean, Ange et Gina. C’est avec un vrai plaisir que je passe tour à tour d’un protagoniste à l’autre, me glissant à chaque fois dans leurs peaux avec une facilité déconcertante, pour suivre le récit à travers leur regard.
Deux personnages féminins sur trois, dans un livre écrit par un homme : je dois avouer que j’ai trouvé le pari osé, particulièrement pour un premier roman. Il faut dire que se glisser dans la tête du sexe opposé ne me semble pas un exercice facile et que tous les auteurs sont loin d’y arriver avec brio. Et c’est là, une nouvelle belle surprise. Je suis les vies et réflexions des citoyennes Barnett et Courage, sans y déceler la moindre fausse note, comme si cela coulait de source.
Quant au personnage de Sean, je dois concéder que là encore j’avais un peu peur des stéréotypes, tant la figure de l’artiste drogué apparaît archétypale. Et, loin s’en faut ! Là aussi les habituels écueils sont évités avec talent, nous donnant à suivre un homme intéressant et intelligent. La finesse du personnage m’apparaît d’autant plus importante, qu’elle sous-tend toute la légitimité du mouvement des anti-Processeur dont il est proche.
Arrivé ici, je souhaiterais réagir à la critique de Chloé, qui trouve « dommage que certains aspects semblent trop simplistes ou caricaturaux, notamment dans l’expression de la liberté individuelle »(1). Il m’apparaît au contraire que les réflexions apportées par l’auteur, à travers ses personnages, sont tout en nuances et finesse. En effet, si au premier abord je me serai rangé à l’avis de Chloé ; après réflexions, il me semble surtout, que les événements nous dévoilent une humanité immature par bien des aspects. Car comment une population dont la vie a toujours été régentée par un être omnipotente, pourrait-elle avoir une analyse pleinement aboutie sur des sujets tel que la liberté individuelle ? Sans oublier qu’il leur manque une véritable Histoire à laquelle se référer.
Il me semble donc, au contraire, que l’aspect un peu simpliste et caricatural de certains choix met en lumière la cohérence et la finesse de construction des personnages et de la société dans laquelle ils évoluent. Ce qui ne retire, cependant, rien au message sous-jacent, offrant au lecteur le plaisir de suspendre sa lecture pour laisser son esprit vagabonder et pousser un peu plus loin.
Et, au milieu de tout ça, que de surprises ! Combien de fois me suis-je dit « Tu aurais dû le deviner… c’est logique. » Mais voilà… conduit par une plume parfaitement maîtrisée, je me suis laissé prendre. Si on réalise, après coup, que les indices étaient bien là ; dans l’instant, on reste pantois devant ce qui semble être un coup de théâtre. Une plume qui sait aussi faire la part belle à l’émotion, sans tomber à la sensiblerie.
Je me suis enthousiasmé avec Sean, j’ai senti monter les larmes avec Ange, j’ai pris mon courage à deux mains avec Gina… Je n’ai pas vibré ou frémi pour eux, mais avec eux.
La fin, quant à elle, est juste bluffante ! La conclusion, atypique, offre un nouveau souffle au livre et propulse l’oeuvre sur des chemins de l’Imaginaire, jusqu’alors, inexplorés.
Mais, chut !… Je ne vous en dirai pas plus.
Les plus curieux d’entre vous peuvent également visiter le site(2) dédié à Eternity Incorporated, mis en ligne et administré par Gina Courage, la responsable Connectique de la Bulle. Vous pourrez, entre autres, y découvrir les photographies prises par le lieutenant des brigades externes, Ange Barnett, ainsi que la musique « électronique et psychédélique » du grounder, Sean Factory.
Il est d’ailleurs à noter que ce dernier a mis à disposition des morceaux de sa composition pour accompagner certains chapitres, en plus de ceux dont il est fait mention dans le livre. Un plaisir que l’on ne saurait bouder ! Surtout qu’un soin particulier a été apporté, pour que rien sur le site ne vienne gâcher les plaisirs et surprises d’une future lecture…
Une belle Bulle électronique en somme, pour accompagner et prolonger la lecture du roman.
Je dirai donc : fin, intelligent, rythmé, sensible et même inattendu. En trois mots, pour ceux qui n’auraient pas encore vu venir mon conseil de lecture : A lire absolument !
Merci à Raphaël Granier de Cassagnac, d’avoir explorer pour nous ces nouveaux horizons.
- (1) Chronique de Chloé pour le site ActuSF – http://www.actusf.com/spip/Eternity-Incorporated.html
- (2) Site web de l’ouvrage (actuellement inaccessible) : Eternity, Incorporated
Eternity Incorporated
de Raphaël Granier de Cassagnac
Illustration de couverture « Neo Tokyo » de Justin Van Gendere.
Paru aux éditions Mnémos le 1er juin 2011.
Lien vers cet article : Concours Eternity Incorporated de Raphaël Granier de Cassagnac aux Editions Mnémos